Par Maxime Pannetier – Directeur Resonance Films Paris
En 2024 encore, l’univers de la communication et des médias sera bouleversé par les progrès notables de l’intelligence artificielle. Révolution ? Oui et non. Si l’IA est un accélérateur de résultats, son champ de compétence peut être trompeur et la promesse de remplacer les tâches ingrates trop belle pour être vraie. Reste que de vraies mutations dans la manière de produire des contenus, de l’écriture au montage en passant par l’art de faire des retours sur des scénarios et même des films vont bouleverser durablement notre secteur. Pourra-t-on faire demain un dossier créatif ou écrire des retours sur une production sans avoir la tentation de l’IA ?
Cette évolution rapide va influencer significativement la manière dont les contenus sont créés, pensés, distribués et consommés. Pour les professionnels de la communication et du numérique, il est essentiel d’appréhender, en ce début d’année, les tendances audiovisuelles qui vont marquer 2024. Sans prétendre à l’exhaustivité, cet article analyse et discute 10 tendances.
1. L’Intelligence artificielle : tester les nouvelles technologies
L’IA offre une efficacité sans précédent dans l’automatisation de tâches complexes. ChatGPT s’est enrichi en ce début d’année d’une bibliothèque d’applications incluant des outils comme “Creative Writing Coach” ou “The Negociator” qui proposent aux utilisateurs des conseils d’écriture personnalisée ou du coaching pour mieux négocier ses affaires. La promesse est énorme, le résultat inégal mais loin d’être sans valeur.
En cette nouvelle année, les communicants vont être fortement sollicités par tous les vendeurs d’IA, à l’exemple d’agences comme Ermes qui promettent du cost-killing massif “Entre 40 à 50% de ce qui est facturé par une agence de production de contenus à son client annonceur peut être fait par notre IA”.
Un peu comme les vendeurs de “produits miracles” de la fin du XIXème siècle, les commerçants de l’IA vont sans doute surjouer les promesses de résultats avec le risque de décevoir mais aussi la réelle opportunité de moderniser les process d’analyse, de création, de production, de commercialisation etc. L’enjeu n’est pas maigre et c’est pourquoi les décideurs, pour rester dans le coup, vont devoir tester et faire tester les résultats des IA.
Dans le monde des contenus, comme ailleurs, les usages à tester sont variés : plan stratégique, relecture de scénario, création d’images pour inspirer les DA, accélération des recherches, création de document de travail accéléré sur base de données, montage par transcription, marketing, accélération de la création d’effets visuels, transcriptions, traductions, publications optimisées pour le SEO…
Il est donc essentiel de développer un nouveau savoir-faire pour utiliser l’IA à bon escient, tout en restant vigilant sur sa dimension néfaste, que ce soit en termes de dévalorisation du travail créatif ou technique, de possible dépendance à des pensées enfermantes et faciles qui engendrent de la paresse intellectuelle ou de la course à l’optimisation affaiblissant les liens humains.
2. Les contenus générés par IA : la réussite est dans la demi-mesure
La promesse la plus facile de l’IA sera sans doute celle, prétendument “magique”, de générer un film, une photo, un podcast, un texte en un “prompt” (une instruction écrite). Notre grande surprise de 2023 aura été que cela fonctionne. Pour autant, cela crée aussi chez nous le sentiment de “vallée de l’étrange”, autrement dit cela stimule notre capacité à détecter intuitivement le faux, ce qui nous met mal à l’aise, ou le sentiment d’être trompé quand on se rend compte que l’IA a généré une information erronée qui semblait pourtant vraie.
Cette année, des sociétés comme Peech ou Wondershare proposent déjà de générer des films en quelques clics en mettant à disposition des images ou en les créant à partir de textes, de photos ou de rushes vidéos. Pour les jeunes marketeurs, les sociétés fauchées, les associations, cela semblera une aubaine et va sans doute envahir les flux sociaux cette année. Reste que ces contenus presque “100% IA” seront impersonnels et pourront aussi se retourner contre les marques qui en font un recours trop massif et trop peu pensé.
La solution sera sans doute un entre-deux et les créateurs de contenus vont devoir apprendre à intégrer l’IA en distinguant le bon grain de l’ivraie. Les films créés à l’aide de l’IA existent déjà mais leur création découle toujours d’un apprentissage technique mélangeant nouvelle méthode et ancienne. C’est cette révolution de méthode qui sera déterminante, notamment pour les effets spéciaux hyperréalistes à coûts réduits. L’enjeu pour les décideurs est finalement toujours le même : il n’y aura pas de solution “magique” mais il y aura des talents et des entreprises agiles capables d’intégrer subtilement les progrès de l’IA pour améliorer la qualité finale dans des budgets plus contenus. Attendons nous donc à voir émerger des productions plus belles, à budgets plus réduits mais dont le succès dépendra toujours d’un créateur.
3. Contenus interactifs et immersifs : des créations appréciées du public
Au sein des musées ou des grands événements, les contenus vidéos vont continuer à avoir la côte et à se multiplier partout dans l’espace public ou semi-public. La tendance, qui se confirme année après année maintenant, est de déployer une diversité de formes de contenus avec, en point d’orgue à la visite, l’interactif et l’immersif. Les possibilités sont désormais nombreuses : réalité virtuelle (VR), réalité augmentée (AR), Mapping et projections géantes, écrans interactifs, écran 360°, écran au plafond, murs d’écrans, contenus avec de la data, expérience de visite augmentée en audio spatial, contenus audios immersifs ou interactifs… En dehors des musées et du divertissement, ces applications s’étendent aussi désormais à l’éducation, à la formation professionnelle ou aux simulateurs, offrant de nouvelles voies d’apprentissage et d’engagement.
Parmi les exemples marquants de 2023, notons l’ouverture de la cité de la francophonie en octobre dernier qui met l’accent sur le jeu avec la langue française, la réouverture du musée de la marine avec ses simulateurs marins ou encore les nombreuses interactivités de la Cité des Sciences, dont un dispositif multimédia co-conçu avec Resonance Films pour l’exposition Urgence Climatique dans lequel est présentée la vie d’une forêt ou encore la déclinaison “immersive” du Grand Palais. L’enjeu pour les commanditaires de contenus est ici de trouver le bon équilibre entre le spectacle, le ludique, l’esthétique et le narratif, tout en intégrant le contenu dans une scénographie diversifiée, sans répétitions donc, où le contenu audiovisuel est rehaussé par un travail muséographique total.
Salle immersive au musée de la marine de Paris
4. Écologie : Penser écoproduction et traiter narrativement les sujets environnementaux
2024 marque “l’éco-conditionnalité progressives des aides du CNC” en échange de la remise d’un “double bilan carbone des œuvres”, autrement dit depuis le 1er janvier les aides audiovisuelles, cinématographiques et numériques du CNC sont conditionnées à la production de bilan carbone à l’aide des outils SeCO2 ou Carbon’Clap. Engagement sincère ou non, les producteurs de contenus s’engagent désormais massivement à penser la réduction de leur bilan carbone.
Resonance Films, signataire de la charte Ecoprod depuis 2018, a d’ailleurs travaillé en 2023 avec OptiCarbO pour mieux estimer l’impact de nos productions et travailler aux moyens de réduire notre impact. Le domaine des petites productions, économes par nature, semble peu sensible aux sujets mais les gros tournages seront impactés, obligeant les créateurs à maîtriser leurs excès. Les solutions sont bien connues mais parfois complexes à mettre en place : réduire les déplacements, choisir des modes de transport décarbonés, lumières LED sur les tournages, gourdes plutôt que bouteilles en plastique, filmer utile, tourner en très haute définition seulement si nécessaire, ordinateur de postproduction moins énergivore, moins de viande pour les catering, etc. Il appartient aussi aux décideurs de choisir leurs partenaires sur cette base pour enclencher un cercle vertueux.
Les nouvelles générations, plus sensibles à ces sujets, sont en première ligne du changement et se nourrissent aussi de plus d’informations sur la durabilité et l’éco responsabilité de leurs actions. Narrativement, les sujets environnementaux sont aussi des sujets de plus en plus sollicités et les producteurs de contenus doivent donc désormais mieux les intégrer.
5. Audio spatial, binaural, 360, atmos, 3D : le son immersif, nouveau graal des contenus audios
Quand on pense audiovisuel, on oublie souvent que le premier mot est “audio”. Si les médias sociaux ont parfois tendance à faire couper le son aux utilisateurs pour les consommations de contenus nomades, les nouveaux casques et écouteurs promettent désormais une révolution : le son spatial.
Ce n’est pourtant pas une nouveauté, puisque le binaural est né il y a près de 100 ans avec Walt Disney, cependant son usage et sa généralisation devient réalité depuis 2 ans environ avec l’arrivée en 2021 du son “spatial” dans Apple Music et l’apparition du format décompressé “audioless”. Ce simple ajout a changé en profondeur le secteur de l’enregistrement musical et les consommateurs y sont de plus en plus sensibles. La version payante la plus onéreuse de Netflix vend désormais, elle aussi, “l’audio spatial” comme un argument justificatif d’une expérience “premium”.
Côté contenus, en France, l’hôtel de la Marine rouvert en 2021 propose lui une “visite interactive en son binaural headtrackée” conçue par le studio Radio France. L’expérience est saisissante et témoigne des nouvelles possibilités interactives. À la Cité des Sciences, aussi, le binaural a intégré les cahiers des charges des nouveaux projets pour, par exemple, donner la sensation de voyager dans l’espace. L’expérience tridimensionnelle, pour les audioguides, les histoires immersives, les podcasts et la musique ouvre ainsi de nouvelles pistes pour renforcer l’impact émotionnel et créatif de vos sujets.
Cette analyse des tendances est à suivre, la semaine prochaine, avec le décryptage de 5 tendances supplémentaires. Nous parlerons notamment des nouveaux écrans, des succès des programmes webnatifs sur Twitch, de l’influence de TikTok sur la création, de la distribution crossmédias et de l’usage de datas personnalisés dans l’écriture de contenus.