Cet article fait suite aux 5 premières tendances décrites la semaine passée.
6. Les Programmes webnatifs longs défient la TV sur Twitch et Youtube
YouTube a fêté en 2023 ses 18 ans. Comme un passage à l’âge adulte ? En réalité, cela fait bien longtemps que la plateforme de Google est devenue majeure, mais c’est sans doute la première fois qu’elle se dote réellement de programmes longs, professionnels et émanant de ses créateurs.
Côté programme Live, Twitch continue sa croissance et bouleverse toujours plus l’écosystème médias en proposant du contenu communautaire, jeune et long.
Parmi les exemples marquants, notons la diffusion simultanée sur Twitch et YouTube du programme GP Explorer de Squeezie : 11 heures (!!) de live produit pour 3 à 4 millions d’euros, financé par des annonceurs comme Orange, Samsung et TikTok. Avec les moyens d’AMP Visual, partenaire habituel de la TV et un dispositif à la fois inspiré de la TV, du jeu vidéo et des codes propres au web, l’événement a attiré jusqu’à 1,3 million de spectateurs en simultané sur Twitch, un record qui fait réfléchir. Réduire le web aux contenus courts n’est définitivement plus d’actualité.
Côté culture, le Youtubeur Étoiles propose un programme de 3 heures intitulé La nuit au musée au cours duquel il parcourt les couloirs des musées parisiens, accompagné de personnalités issues du web comme Lena Situations. 3 heures de live pour une collection culturelle webnative où non seulement le Louvre, mais aussi le centre Pompidou, le château de Versailles, l’Opéra Garnier, Orsay ou le Musée d’Art moderne ouvrent grands leurs portent pour toucher de nouvelles audiences, une nouvelle preuve de la montée en puissance des contenus webnatifs.
Avec 11 millions de vues l’événement foot/influenceurs Eleven All Stars organisé au parc des princes participe de la même dynamique. Rentables, aux audiences massives, ultra engageants, ces programmes viennent véritablement concurrencer les médias traditionnels sur les horaires de prime-time.
L’enseignement pour les créateurs de contenus : les réseaux sociaux permettent de tisser des liens forts avec leurs communautés et de créer des programmes (jeunes) d’un nouveau genre où le lien d’affection créateur-public est central.
7. Début de convergence entre médias sociaux, médias traditionnels et plateformes. L’exemple Hugo Décrypte
Parallèlement à la montée en puissance des audiences des programmes webnatifs, on voit l’arrivée de vidéastes web à la TV. Parmi tous les exemples, Hugo décrypte est sans doute la personnalité ayant développé les synergies les plus profondes entre les médias web et traditionnels. En distribuant ses commentaires sur l’actualité simultanément sur les plateformes de streaming audio (Spotify, Apple Music, Deezer…), sur les médias sociaux (Twitch, YouTube, Instagram, TikTok, LinkedIn, Facebook, X, Threads…) et sur France 2, le jeune journaliste a su allier la puissance des communautés numériques à celle du mass média. La simplicité de son dispositif, reposant avant tout sur l’analyse, l’écriture, l’interview et donc sur l’audio, le rend particulièrement “liquide” c’est-à-dire capable de passer d’une plateforme à une autre avec une stratégie de distribution totalement 360°.
Un cas d’école qui rappelle aux professionnels des contenus qu’on ne peut plus vraiment, en 2024, penser un contenu pour une plateforme, il faut mettre des moyens dans la distribution, le référencement, l’adaptation, les déclinaisons pour avoir toutes les chances d’exister. Un bon rappel aussi de la force de cette écriture journalistique, incarnée, traitant de sujets universels, bienveillante, éclairante, dans l’actualité et donc nécessaire.
Côtés médias traditionnels, l’érosion des audiences linéaires et le déclin du print renforcent la plateformisation et accélèrent la mise en place de modèles freemium, TF1+ en étant le dernier avatar. Du côté du print, PassPresse participe de la même intention de plateformisation pour le groupe Prisma/Bolloré qui cherche ainsi à faire concurrence au leader Cafeyn d’Altice.
Côté acteurs du streaming américain, Netflix affirme son leadership même si Amazon, AppleTV+, Disney+, Paramount+, Universal+ et bientôt Max (Warner/HBO) sont en embuscade. Alors que les consommateurs sont de plus en plus volatiles, la puissance des programmes et des talents s’impose comme le levier du passage à l’abonnement sans que le renouvellement ne soit tacite.
2024 devrait donc consolider les rapprochements avec une offre médias/contenus qui doit désormais se penser soit en termes d’exclusivité (une plateforme, une marque) soit en termes d’hyperdistribution (toutes les plateformes, une marque). Dans ce monde, les contenus longs, feuilletonnants et populaires sont plus que jamais d’actualité. Si on n’est plus forcément fidèle à une plateforme, on l’est à un média, une personnalité, un style ; ce qui constitue une véritable opportunité pour les créateurs de contenus.
8. Les formats TikTok influencent le monde de la communication vidéo
Si les programmes longs et fidélisants reviennent en force,le format court prend une place majeure en communication vidéo. Venu de Tiktok, vertical, de 60 secondes environ, il a conquis Instagram (Reels), YouTube (Shorts), Snapchat (Spotlight) mais aussi les sites de presse (“Découvrir” chez le Monde, vidéos dans le flux du New York Times, formats “Bref”…).
Le succès repose sur le format court, bien sûr, mais aussi sur une logique algorithmique (fréquence de publication, accroche des premières secondes, référencement naturel, relai social, reprise de hashtags populaires…)
Dans cet univers, depuis plusieurs années, on observe une tendance “Point of View” ou “POV” qui consiste à proposer une narration immersive, souvent intime et personnelle, finalement assez proche du principe de téléréalité avec un réel mis en scène.
La viralité des contenus reste dépendante des sujets, de la qualité visuelle et sonore, de l’authenticité des situations et de l’utilisation stratégique de musique. En adoptant la plupart du temps un ton complice et direct ou plus journalistique, les créateurs de contenus doivent s’adapter à un format très court dont le succès de consommation repose souvent sur un “hooking” (accroche) très efficace, souvent sous forme de question ou d’un propos à suspense (“regarde cette vidéo jusqu’au bout”).
Quoique de qualité très variable, ces contenus resteront en 2024 des passages obligés de la communication sociale.
9. La montée en puissance des contenus personnalisés
Vous n’avez pas pu y échapper en fin d’année dernière : les rétrospectives personnalisées sont devenues un marronnier des contenus à base de data personnalisée : Google Maps récapitule vos voyages, la SNCF compte vos kilomètres, Spotify mesure votre activité musicale, les applis sportives commentent votre santé…
A l’ère de la data personnalisée généralisée, le marketing du tracking doit être habile : raconter sans faire peur sur la connaissance que des tiers ont de vous. Les exploitations combinées de vastes bases de données plus ou moins personnelles avec l’IA offrent de nouvelles opportunités de communication hybride ou, plus subtilement, de création de contenus basée sur des profils de consommation (l’ADN de Netflix depuis ses débuts mais aussi de tous les médias sociaux).
2024 ne devrait donc pas échapper encore à cette tendance à la production de contenus hybrides, possiblement à base d’IA et préférentiellement via des applis. De manière plus indirecte, la data, sous forme de chiffres ou de données devrait aussi être davantage intégrée aux contenus eux-mêmes pour ajouter une strate d’authenticité aux propos énoncés.
10. Les nouveaux écrans, du pliable au transparent, ouvrent de nouvelles possibilités créatives
Au-delà des écrans personnels, les industriels rivalisent d’ingéniosité pour proposer des expériences de visionnage différentes : écrans miroirs, écrans transparents qu’on croirait venir de films de SF, écrans pliables, 360°, 3D sans lunettes, 12K…
Les révolutions constantes de l’affichage profiteront encore aux dispositifs publicitaires, muséaux ou événementiels avec la promesse de nouveaux spectacles toujours plus immersifs ou sensationnels.
Côté producteurs de contenus, les murs d’écran derrière les personnes filmées constituent déjà une alternative intéressantes au fond vert (popularisée par la série The Mandalorian depuis 2020), elle se développe maintenant dans des salles de concert et devrait sans doute bientôt inspirer des salles physiques pour proposer des expériences de visite étonnante (même si le coût carbone sera aussi une vraie question).
Comme toujours, ces technologies n’auront pas toutes le succès espéré par leurs fabricants mais il est certain qu’elles offrent des possibilités créatives nouvelles pour les scénographes et, par ricochet, pour les producteurs de contenus qui pourront adapter la création à la forme.
Les tendances audiovisuelles détectées par Resonance Films pour 2024 révèlent de nouvelles mutations, elles sont aussi à conjuguer avec des tendances éditoriales qui vont marquer l’année : l’IA, encore, une forte représentation du sport et de ses valeurs avec les JO, économie de l’intégrité (les marques cherchent à contribuer de manière durable à la société), marketing d’influence, contenus créé avec les utilisateurs…
Pour les professionnels de la communication, de la vidéo et des médias, 2024 se devra d’être placé sous le signe de “l’authenticité”, terme sans doute galvaudé de par ses usages, mais qui traduit pourtant, dans un monde de doute, en crise de technologie (IA), en crise climatique, en crise géopolitique (guerres) à retrouver un lien humain sincère. Paradoxalement, derrière le succès des programmes cités et même des IA, il y a une grande envie de générosité : le spectateur de 2024 aura besoin de valeurs et de confiance au travers de créations bien humaines.